Galerie Toutes les histoires Qui suis-je?


Ne plus penser à l’avenir. C’est le conseil le plus étrange que l’on m’ait jamais donné. Et depuis quelques jours que j’y pense, je le trouve bien difficile à appliquer…

 

Cela prouve sans doute que ma psy a visé juste. Ignorer l’avenir me semble impossible parce que je suis trop politique, que je ne peux pas m’empêcher de me demander ce que vont devenir les gens, ce que va devenir le monde, comment va tourner cette sale guerre en Ukraine, ce que va faire Macron de pire que pendant son premier mandat — je n’ai aucune illusion sur son inventivité — ou à quoi ressemblera le monde dans lequel Alice m’aura remplacé. Au moins, je ne suis pas tourné vers le passé, comme ma vieille mère l’a toujours été, se demandant sans cesse si elle n’aurait pas dû choisir un meilleur mari. Une vie entière à se lamenter sur une erreur, au lieu d’en tirer une expérience : quel désastre.

Ma psy a raison : le covid, je n’y suis pour rien. Donc l’excédent de solitude qui va avec non plus. Et ces petits morceaux de plastique désagrégé qu’on doit se foutre sur la gueule depuis deux ans, j’en ai soupé ! Ça coupe les émotions, ça crée une barrière qui m’empêche même de voir à quel point mes clients sont cons… C’est d’ailleurs pour ça que j’ai décidé de ne plus les dessiner, les masques : je ne voudrais pas vous priver du spectacle fascinant de la sottise. Un enchantement toujours renouvelé.

Qu’est-ce qu’y fait, qu’est-ce qu’il a, qui c’est celui-là ? Un indice dans cette légende… et la réponse à la fin de ce billet.

Ne plus voir les visages. Ne plus s’embrasser. Ne plus se toucher la main. Voilà qui a des conséquences profondes sur notre psychisme. Et l’Etat a totalement déserté ses responsabilités en matière de santé mentale. La déshumanisation qu’il nous a imposée est pourtant très profonde.

Bien sûr, il fallait des mesures d’urgence pour sauver des vies… et compenser la destruction de l’hôpital public par le libéralisme. Mais définir une politique à la seule aune du nombre de morts est absurde. Ne pas regarder en face le désespoir des vivants est cynique et inhumain.

Car on n’a jamais vu un mort se plaindre. Les victimes du covid sont très détendues à l’heure qu’il est, je vous assure. J’en ai encore eu un au téléphone tout à l’heure : il est mort il y a deux ans et il est en pleine forme, ils ne souffre plus, il m’a même promis qu’il ne souffrirait plus jamais. Ce sont les vivants qui sont restés dans la merde.

Nous, les vivants — pardon aux morts qui me lisent — avons été isolés comme au temps de la peste noire, alors que la science a tout de même fait quelques progrès depuis 1347. Nous avons été isolés par l’épidémie, et notre individualisme a fait le reste. Il n’y a plus de solidarité ou presque, il n’y a plus de corps social. Même les plus pauvres, les plus seuls, les plus exclus s’excluent les uns les autres… Et ça va bien au-delà de la pandémie, d’ailleurs. C’est un individualisme de système. Alors que précisément, notre désespoir de tout-petits devrait nous pousser à nous coaliser contre les quelques individus qui possèdent autant que nous tous, nous sommes plus divisés que jamais, en nations, en religions, en corporations et en clubs (les taxis contre Uber, les actifs contre les retraités, les Français blancs contre les immigrés, les Marseillais contre les Anges…) qui nous empêchent de renverser la table. « Et en même temps », une poignée d’individus — chefs d’Etat et de GAFAM — règne sans partage et fixe les conditions de notre existence sans nous consulter, concentrant les mêmes pouvoirs, à peu de choses près, que les plus grands monarques et despotes de l’Histoire.


Où est passée notre capacité de rébellion ? D’indignation ? Si j’osais, je dirais… de violence. De seconde violence, au sens de Dom Hélder Câmara :

« Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres.

Il n’y a pas de pire hypocrisie que de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »

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