Galerie Toutes les histoires Qui suis-je?


Tout fout le camp. On a perdu la bataille des retraites, on va perdre la bataille du climat et voilà qu’Alimatou m’abandonne…


Que cherche-t-elle à fuir ? Un proxénète violent ? Un créancier douteux ? J’ai toujours eu peur pour elle, mais je ne devrais pas : elle est débrouillarde et affronte la vie avec un courage sans égal. Elle seule peut juger de la dureté des épreuves qu’elle traverse, après tout.

Pourquoi Marseille ? C’est au moins aussi pollué que Paris et les taxis y sont des arnaqueurs… comme nous. La seule différence, c’est la Méditerranée et le soleil. Puisse-t-elle y trouver de la chaleur et du réconfort ! Une de ses sœurs y habite, aussi. Dans ma vie, la famille n’a pas toujours été un soutien, mais Alimatou semble plus apaisée de ce côté-là.

Et ce nouveau travail ? Un rôle de plongeuse et de serveuse le midi dans un petit restaurant. « Franco-sénégalais », a-t-elle précisé en me souriant.


Ces restaurants « franco-quelque chose », ou comment s’intégrer dans la société française, avec des tortillas au reblochon.


Va-t-elle continuer à faire des passes ? C’est probable… Je ne lui ai pas posé la question, mais j’ai compris qu’elle ne travaillerait pas le soir au restaurant. Je ne sais pas tout, j’ai voulu rester délicat, respecter sa discrétion. Je sais seulement qu’elle va me manquer.

Quant à moi, je suis bon pour l’andropause. Avec Alimatou, c’est mon désir qui s’envole. Elle n’est pas que cela, bien sûr : une forme d’amitié s’est développée avec les années… Mais elle a été et restera mon fantasme majuscule. La voir partir, c’est accepter de retourner à ma solitude, fermer la page de ma jeunesse, briser les restes de ma fougue réveillée par notre rencontre. Elle a été mon Dorian Gray, et moi, Oscar Wilde maudit, je m’apprête à finir mes jours au cachot… Oui, bon, j’en rajoute un peu ! Oscar Wilde, lui, a réellement terminé sa vie dans une prison sordide, pour avoir aimé un homme à l’époque où cela ne se faisait pas… Il raconte cet épisode dans la lugubre Ballade de la geôle de Reading ; et je me souviens qu’au détour d’une roue de torture, un autre supplicié, issu des classes pauvres, lui fait ce terrible aveu, que je cite de mémoire : « Nous, nous avons l’habitude de souffrir, mais pour vous qui venez de la haute, ça doit être terrible ! » Effroyable, n’est-ce pas ?


Je n’en suis pas là. Je vais simplement rentrer chez moi dans mon petit taxi, mettre ma clé minuscule dans la porte de mon deux-pièces lilliputien et chercher l’horizon entre deux immeubles. Puis, la nuit venue, sur l’oreiller, je rêverai à ma jeunesse emplie d’étreintes et d’ardeur.

Newsletter :

Me soutenir :

Partager :

 |   |