Moi l’arrogant, le péremptoire, le tyran des taxis, me voici submergé de sentiments contraires.
Vous le savez que je ne ressens rien pour les bébés. Ils me sont aussi étrangers que les réfugiés et l’humanisme le sont à Eric Zemmour. Je ne vois pas bien à quoi peut servir une boule de chair de quatre kilos, cacophonique et difficilement comestible. Moi et un chiard, c’est comme Noam Chomsky et Cyril Hanouna : on ne se comprend pas.
En général, quand une mère se réjouit d’enfanter, je déplore l’empreinte carbone de la personne supplémentaire produite par notre humanité obèse et irresponsable.
Et pourtant… Je suis heureux pour Alimatou. Je me sens plein d’empathie pour elle. Quand on aime sincèrement quelqu’un, la réprobation morale s’efface derrière la contagion d’une joie profonde. Alimatou étant heureuse, je ne peux qu’épouser son bonheur.
Bakari représente l’espoir. Alimatou envie son avenir prometteur, riche de possibilités qui n’existent plus pour elle-même. Créer un être pour le préserver de sa propre infortune : il fallait oser.
Diomaye représente l’héritage, la continuation d’une histoire. La vie d’Alimatou ne s’arrêtera jamais au Bois de Boulogne, car dorénavant, il y aura Diomaye pour égayer ses soirées, lui donner la foi et mieux encore, un sens.
Michel représente — et j’en ai un peu honte — la gentillesse. On peut facilement trouver plus aimable que moi, il suffit d’ouvrir le bottin au hasard, ou presque… Mais je ne crois pas que le respect que je porte à Alimatou soit si courant. L’amitié et l’affection que j’ai pour elle depuis quatre ans sont purs. Mon désir ne les pervertit pas. Si elle a choisi « Michel » comme dernier prénom, j’ai l’audace de croire que c’est pour célébrer la gentillesse dont je suis capable, quoi qu’en pensent mes autres clients. Ils sont incapables de la voir, c’est tout ! Pourtant, elle crève les yeux, bande de flaques de chiasse.
Bakari Diomaye Michel ne connaîtra jamais son père, c’est évident. Peut-être Alimatou me demandera-t-elle un jour d’incarner une référence masculine à ses yeux. Je ne m’en crois pas capable mais, flatté, je ne saurai pas lui dire non. Du moment que le sagouin ne m’appelle pas Pépé, j’essaierai d’être présent.