Je ne vais pas faire le gars dur, qui aime avoir l’air sûr et défoncer des murs : oui, Alice m’a émue. Mais elle a 13 ans : qu’elle soit pleine d’espoir et me demande de continuer est dans l’ordre des choses. Alors que moi, à 60 ans, je suis fatigué de me battre.
J’ai déjà passé le dernier épisode à me lamenter de l’état du monde alors cette fois, je vais embrayer sur l’étape suivante : le constat de mon impuissance.
Ce site est consulté par quelques milliers de lecteurs — quand je publie de bons épisodes — chiffre qui ne varie pas depuis des années. Autrement dit, je crois que comme tous les mouvements rebelles, j’ai déjà atteint toutes les personnes proches de ma sensibilité. Le reste de l’humanité est trop occupé à consommer du Netflix pour s’intéresser à une bd en noir et blanc.
Les deux pelés et les trois tondues qui me lisent m’écrivent souvent des mots gentils. Ils sont — vous êtes — pour beaucoup, engagés dans des luttes sociales progressistes, humanistes ou révolutionnaires, souvent plus engagés que moi d’ailleurs. Vous marchez pour le climat, vous vous battez pour le service public, pratiquez la désobéissance civile. C’est bien… Mais reconnaissez comme moi que malgré votre engagement, le climat part en vrille, le service public s’effondre et le sécuritarisme triomphe. Nos luttes sont vaines, désespérées, parce que nous ne sommes simplement pas assez nombreux.
Certains croient encore à un changement volontaire, respectueux des lois et des institutions — pas moi. Nous, les réalistes, nous rêvons déjà de violence matérielle. Nous fantasmons l’insurrection du peuple contre l’oppression. Mais ce problème du nombre est insoluble. La gauche, la vraie gauche… Combien de divisions ? comme dirait l’autre moustachu.
Et divisions, c’est bien le mot ! En plus d’être trop peu nombreux, nous sommes morcelés. En 1941, Jean Moulin avait su unir les Résistants communistes et gaullistes contre l’ennemi commun. Aujourd’hui, face aux périls climatique et ploutocratique, la cause commune est claire, mais la Résistance est divisée. A mon sens, les mouvements révolutionnaires, une grande partie des gilets jaunes, les vieux nostalgiques de la Commune et les jeunes militants de Greenpeace ou d’Extinction Rébellion sont tous des Résistants, ils ne sont pas davantage irréconciliables que les gaullistes et les communistes en 1941. Même chez LREM, il y a des Résistants (non, je déconne ! Ces nouilles n’ont aucun courage). Mais nous, Résistants du XXIème siècle, sommes trop occupés à nous tirer dans les pattes et à nous critiquer mutuellement. Il faudrait réapprendre à travailler ensemble, à coordonner nos actions, humblement, sans quoi les forces brunes — beaucoup plus nombreuses — nous submergeront.
Je n’y crois plus beaucoup. Sincèrement, il est peut-être temps que je passe la main.