Galerie Toutes les histoires Qui suis-je?


Même moi qui suis un misanthrope, je me souviens avec regret d'une époque où l'on se parlait différemment.


Une conversation avec un téléopérateur n'est ni agréable, ni naturelle, ni nourrissante, ni rien du tout. C'est un échange d'informations, utilitaire - à défaut d'être efficace, ce qui est rarement le cas. Tout y est calculé par des consultants surpayés pour durer le moins longtemps possible ; chaque mot est raccourci, chaque seconde est pesée pour que le client mécontent soit traité rapidement et cesse de coûter de l'argent au lieu d'en rapporter... Et encore ! J'évoque ici les conversations qui se passent « bien » ; pas celles où l'on s'échange des noms d'oiseaux, ni celles où l'on reste bloqué dans une boucle spatio-temporelle entre le « menu principal » et le « nous n'avons pas compris votre message ».

Autrefois, ou jadis, comme on disait naguère, on allait à un guichet et on discutait avec de vraies personnes non enregistrées. Combien d'heures j'ai perdues, enfant, traîné par ma mère chez France Telecom ou chez GDF... Les gens n'étaient pas plus intelligents (quoique), on s'injuriait déjà avec beaucoup de savoir-faire, pour des broutilles administratives... Mais au moins, quand on s'escrimait avec un agent buté, on s'ennuyait moins : on pouvait toujours l'observer et découvrir un monde à travers lui : une variation unique parmi les formes infinies que peut prendre la bêtise nature humaine. Le spectacle est fascinant s'il est toujours renouvelé ; l'optimisation productiviste l'a appauvri, c'est le prix de l'efficacité.

Que sont-ils devenus, ces soldats désarmés des administrations d'antan ? Même l'ANPE ne répond plus. Pauvres bougres.

Le téléphone, c'est aussi le triomphe de l'individualisme. Je suis toujours ahuri de voir que chacun a son portable, même le sans-logis du Monoprix, la fille d'onze ans de mon voisin ou le grilleur de maïs du coin de la rue. Le portable, c'est ce besoin de posséder un totem qu'on ne partage pas. Je ne dis pas que l'individualisme est une mauvaise chose... Il permet à chacun de s'accomplir, de chercher un sens à sa vie et de croire le trouver... Mais a-t-on mesuré le prix collectif de cet individualisme ? Le contact humain entre deux inconnus a-t-il jamais été plus difficile qu'à notre époque, où chacun voyage avec ses 500 « amis » en main ? Et l'individualisme total que nous permet cette technologie n'est-il pas responsable, en grande partie, de notre incapacité à agir collectivement contre des drames connus de tous ? C'est un mystère, pour moi, de nous voir si passifs face à d'aussi sombres perspectives - notamment écologiques - alors que l'information n'a jamais autant circulé... Mais je crois que chacun est trop occupé à accomplir son destin personnel.


Nous ne mesurons pas ce que nos libertés individuelles nous ont fait perdre collectivement.


*Le « client » de cette bande dessinée est un généreux « tipeur », autrement dit, quelqu'un qui soutient ce blog sur Tipeee. Merci à lui !

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