Galerie Toutes les histoires Qui suis-je?


J’adore ma nièce.


C’est bien la seule gamine que j’aime vraiment. Sans doute parce qu’elle me rappelle quelqu’un, au même âge… Un jeune et bel idéaliste aux cheveux longs qui commençait à dessiner dans son coin… Oui, lui-même. Tiens, je viens d’écrire que la seule mouflette qui trouve grâce à mes yeux me ressemble. Mon égocentrisme me surprendra toujours. Enfin, brisons là ; parlons plutôt de création.

J’étais un peu plus jeune qu’Alice quand Virginie m’a fait tourner la tête. Elle fut mon premier émoi : j’oscillais entre des rêves d’amour fou et des séances de masturbation poisseuses. Pour attirer son attention - et la détourner de l’infâme Geoffroy qui les impressionnait toutes en nous cassant régulièrement la gueule - je décidai de croquer nos professeurs dans des caricatures clandestines. Ce fut mon premier contact avec la censure ; le principal, insensible à mes talents de portraitiste, me colla généreusement. Je tirai néanmoins quelques sourires de la bouche de Virginie, qui jamais, hélas, ne se referma sur mes lèvres.

Et puis il y eut Christelle, lors de cette colonie de vacances où j’effectuai pour elle mon premier portrait au crayon et à l’aquarelle. Ah, Christelle ! Si ma mère n’avait pas, dès mon retour, jeté au lave-linge mes culottes courtes, dans lesquelles j’avais soigneusement plié le billet contenant son adresse… Ma vie aurait radicalement changé. Hélas, Christelle devint ce jour-là un morceau de pâte à papier illisible, et malgré mes efforts de décryptage guidés par la lecture des enquêtes du journal de Mickey, elle s’effaça pour toujours.

Un inédit de mon adolescence. Oui, j’avais des cheveux, verts, apparemment.

Alors à quoi sert de dessiner, si je n’en ai pas emballé une seule grâce à mes portraits ? C’était bien le but pourtant, je l’avoue : être aimé, désiré à travers de prétendus talents graphiques… Le moteur de ma création, c’était Christelle et Virginie, comme le petit Dylan - mais on va l’appeler Dyson, c’est plus drôle - sert de moteur à Alice. A quoi ça sert, si ça ne marche pas, et si le premier crétin venu, sans aucun autre talent que sa fossette et ses yeux verts, vous dame le pion en emportant la fille de vos rêves ?

J’ai une réponse que tu n’accepteras peut-être pas Alice, parce que tu es un peu jeune. Ce n’est pas le dessin qui sert à séduire Christelle ou Dyson. C’est Dyson ou Christelle qui vont te servir à aimer le dessin, à y prendre goût et à te surpasser. Et si Dyson ne te fait pas aimer le dessin, c’est peut-être Enzo qui fera de toi une trompettiste de génie ou Ahmad, la première chef triplement étoilée de moins de 30 ans.

Grâce au sourire de Virginie qui a finalement choisi ce culvert de Geoffroy, et à cause de ma mère - je n’arrive toujours pas à écrire « grâce à ma mère », pardon Maman - qui a détruit ce billet avec l’adresse de Christelle, j’ai rencontré Michel de La Teigne, qui divertit quelques lecteurs et m’aide à supporter ma vie de taxi anonyme. 


Alice, à ton âge, le moteur compte davantage que la création. Un beau jour, ça s’inverse. Et c’est très bien aussi.


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