Ainsi va la vie. Je ne suis plus qu’un détail, un satellite dans la vie d’Alimatou qui tourne tout entière autour des cacas de Bakari. Mais quels cacas !
Vous imaginez bien que les cacas de Bakari ne sont pas simplement des excréments. Ils sont d’authentiques trésors, aussi précieux que l’ambre et l’or, de « gros cacas très beaux », les sommets de la production humaine, un concentré de génie, la civilisation, l’âme de Dieu ! Aux yeux d’Alimatou, tout du moins… Puisque son fils est devenu l’astre de sa vie et qu’elle se contente — ô maternel contentement ! — de graviter autour de lui comme Vénus autour du Soleil.
Malheureusement, Vénus n’a pas de lune. On a cru le contraire au XVIIe siècle ; un astronome napolitain du nom de Francesco Fontana a cru déceler dans sa lunette une petite forme ronde en pâmoison devant la planète de l’amour. Hélas ! Il a été prouvé depuis que Vénus n’avait besoin de personne… à part du Soleil.
C’était prévisible. C’est souvent la même histoire avec les parents. Vers vingt-cinq piges, déjà, quand mes amis ont commencé à enfanter, j’ai été progressivement abandonné. Chacun est allé s’occuper des cacas de ses enfants, et dans cette fascinante observation, une merde banale comme moi a été oubliée. C’est un deuil de perdre ses amis, quelle qu’en soit la raison. J’avais des compagnes et des compagnons si aimables, si attentifs, si légers… Tout cela a été balayé en quelques années par de gros cacas très beaux.
Bien sûr, mes amis ne sont pas morts. J’ai continué à les voir, pour certains, au début et dans des circonstances dégradées… Mais tout a changé : nos relations, la force des liens qui nous unissaient, le temps passé à vivre ensemble s’est dissipé dans l’insignifiance. Et parfois, j’ai bien senti que j’aurais dû, selon les plus durs, suivre le troupeau pour ne pas m’isoler. Je ne l’ai pas suivi, et je suis devenu le mouton noir.
Ainsi va la vie.
Alimatou, je garderai toujours de toi le souvenir d’une étoile filante dans ma nuit.
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