Je suis la Justice.
Evidemment, c’est peu de choses, bien trop peu, ce que je viens de faire subir à Chirac dans mon taxi, au regard d’une vie de compromissions et de banditisme politique. C’est trop peu, mais ça soulage, un soupçon de justice en ce bas-monde. Il faut tout faire soi-même contre ces personnes-là.
Toute ma vie, j’ai adoré Le Comte de Monte-Cristo. Quelle histoire incroyable : un homme innocent est emprisonné pour le restant de ses jours par la lâcheté de ses amis, qui lui volent sa femme et sa fortune. Après quatorze ans de captivité, il parvient à s’évader et acquiert miraculeusement un fabuleux trésor. Ses amis et le procureur qui l’a fait condamner sont devenus plus puissants que jamais, mais Monte-Cristo rêve de se faire justice. Et sous une fausse identité, il y parvient, lentement, méthodiquement… Il use de ruses insensées pour atteindre un banquier d’affaires, un Pair de France et le procureur du Roi - des types aussi protégés que Dassault, BHL ou Richard Ferrand - et leur faire endurer une part de la souffrance de ses quatorze années de détention.
On ne sait pas si cette vengeance soulage vraiment Monte-Cristo, mais pour le lecteur, c’est jouissif. Pourquoi ? Parce que Monte-Cristo a vu sa vie à jamais ruinée par une injustice. Pour se venger, il plonge lui-même dans l’illégalité, jouant de fausses identités, rançonnant ses ennemis, manipulant du poison. L’injustice est le moteur du roman, dès les premières pages : ce qu’a subi le héros va contre tous nos idéaux de mérite et d’égalité, si bien qu’on meurt de savoir s’il va pouvoir se venger.
J’adore Monte-Cristo. Et pourtant, j’ai le plus grand mépris pour les gens qui menacent de se faire justice eux-mêmes, comme Michel Sardou, qui a déclaré un jour : « Si un type touche à mes enfants, je crois que je m’en chargerais moi-même ». C’est la barbarie la plus abjecte, que de considérer que le crime appelle le crime. Alors pourquoi Monte-Cristo ?
Parce qu’il s’attaque à ceux que la loi ne peut pas atteindre. Dans Monte-Cristo, les méchants sont intouchables, aussi vrai que vous ne verrez jamais Sarkozy en prison, malgré la Libye, le financement de ses campagnes et tout le reste. Ces gens-là sont trop protégés. Eh bien dans ce cas, seulement dans ce cas, je crois qu’il est légitime de se faire justice soi-même. C’est le revers de la médaille de la toute-puissance.
Et franchement, ce que je lui ai dit, Chirac s’en remettra. J'aurais au moins dû lui mettre le nez dans ses couches, mais je suis trop gentil.